L’Élysée-National, un palais républicain… mais pas seulement !
Si aujourd'hui ceux qui y logent le sont à titre de locataire, nos présidents n'ont pas été les seuls à y habiter. Plus de 3 siècles d'histoire parcourent les murs de ce palais. Tantôt hôtel particulier pour la marquise de Pompadour, mais aussi hôtel princier de Joachim Murat, puis palais républicain, l'Elysée a connu un passé doublement napoléonien !
L'histoire d'un palais
L'Élysée prend racine entre 1718 et 1720, mais il n'en porte pas encore le nom. En effet, il s'agit à cette époque de l'hôtel particulier du comte d'Evreux, un membre de la haute noblesse. L'hôtel plait beaucoup et selon les mots de l'architecte Jacques-François Blondel, il s'impose rapidement comme la « plus belle maison de plaisance des environs de Paris". En 1783, après la mort du comte, c'est la marquise de Pompadour, l'une des favorites de Louis XV, qui décide d'y déposer ses affaires. Elle qui n'était pas très populaire dans le cœur des Parisiens, son hôtel particulier lui permettait d'être à l'écart de la ville et d'avoir une résidence en cas de disgrâce. Il n'empêchera pas certains badauds d'écrire "maison de la putain du roi" sur les murs.
L'hôtel particulier d'Évreux verra passer entre ses murs, après la mort de la marquise, les œuvres d'art qu'elle a amassé dans ses nombreuses propriétés pour les mettre à la vente. Puis le banquier Nicolas Beaujon (connu pour ses maitresses, appelées les "Berceuses") s'y installera à son tour, et Bathilde d'Orléans en sera la dernière occupante avant la Révolution. Elle est la fille du duc d'Orléans, sœur de Philippe Égalité, tante de Louis-Philippe Ier et surnommée « princesse égalité », un vrai personnage cette Bathilde !
Les esquisses de l'empire
Le 6 août 1805, le beau-frère de Napoléon 1er, le prince Joachim Murat rachète l'hôtel particulier pour 570 000 francs et y entreprend des travaux colossaux. Installé avec sa femme Caroline Bonaparte, c'est à ce moment que la demeure prend le statut de palais. Ce dernier prend peu à peu un style empire, le style en vogue de 1803 à 1821. Comme vestige de ce passé « Murat », il y a le grand escalier à l'impérial, qui triomphe encore de nos jours. Pas moins attiré par les fêtes, l'Empereur venait régulièrement le vendredi soir aux bals qui étaient donnés au palais. On sait également que Napoléon aimait venir déguisé à ces fêtes.
Lorsque Joachim Murat devient roi de Naples le 15 juillet 1808, il doit quitter le palais parisien. Toutefois, Napoléon venant de répudier sa femme Joséphine de Beauharnais, il décide de prêter le palais pendant un mois au couple Murat qui organisera une grande fête le 25 novembre 1809 pour divertir l'Empereur.
L'Elysée-Napoléon
L'Empereur juge le palais des tuileries « inhabitable » et va ainsi faire de l'Elysée son hôtel particulier, jusqu'à la campagne de France. Mais pendant plus de trois ans, Napoléon ne revint pas au palais. Néanmoins, il aime ce palais, mais moins ses extérieurs et ses jardins qu'il juge trop exotiques, il préfère le classicisme.
Lorsqu'il divorce avec Joséphine de Beauharnais, il lui offre le palais, ainsi que le château de Malmaison et celui de Navarre. Mais elle n'habitera pas réellement le palais, ce qui permet à Napoléon de le récupérer en 1812. Installé avec la nouvelle impératrice des Français, Marie-Louise d'Autriche, et parti en bataille, il y séjournera à nouveau entre le 28 mars et le 7 avril 1813.
Mais après les défaites de la Bataille de France, et la première abdication de Napoléon, c'est le Tzar Alexandre 1er de Russie qui récupère la possession du palais. Pour ce qui est de la « succession » de l'Empereur, c'est le retour des Bourbons au pouvoir avec le roi Louis XVIII.
Mais après onze mois et quatorze jours de règne, le roi de France est destitué par Napoléon, qui revient à la tête de l'état pour… trois mois et deux jours. En effet, le 19 mars 1815, Napoléon arrive aux portes de Paris, ce qui a amené Louis XVIII et sa cour à fuir la capitale pour se réfugier en province puis à Gand en Belgique, ce qui lui vaudra un surnom poussé par les chansonniers : « notre père de Gand » (notre paire de gants). Pendant cette période dîtes « de cent jours », Napoléon retourne vivre çà et là au palais de l'Élysée. Mais c'est un évènement bien plus marquant qui anime et hante toujours le palais.
Nous sommes le 21 juin 1815, il est 8 heures du matin, Napoléon revient de Waterloo après trois jours de chevauchée. Avant de se rendre au conseil des ministres, il prend un bain. Le conseil est très mouvementé, on lui reproche de s'être retranché dans son palais. C'est inévitable, la fin du grand Empereur est proche. Ainsi, le lendemain matin, dans son salon d'argent, Napoléon dicte à son frère son abdication : « Je m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France. Ma vie politique est terminée et je proclame mon fils, sous le nom de Napoléon II, Empereur des Français". Puis, par la porte du fond du parc, il quitte le palais après avoir brulé quelques papiers. Il n'y remettra jamais les pieds. Son fils, Napoléon II, parfois oublié de l'histoire, aura un règne aussi bref que théorique de 16 jours. Il n'avait alors que quatre ans.
Sous la monarchie de Juillet, le palais subit d'importants travaux. Il accueille, entre autres, en 1836 le prince Albert de Saxe-Cobourg-Gotha, futur époux de la célébrissime reine Victoria.
L'Élysée-National
En novembre 1848, la France républicaine se prépare à l'élection du premier président de la Deuxième République. Rapidement quelques figures s'imposent, dont Raspail et Lamartine, entre autres et un nom plus familier, celui de Bonaparte. Mais méprisé, ses adversaires pensent qu'il ne gagnera pas les élections. Et pourtant ! Dix jours après avoir décompté les bulletins de vote de la France entière, Louis-Napoléon Bonaparte est élu avec 74,2% des voix ! À quarante ans, seul Emmanuel Macron a été élu plus jeune. Cela fait de Louis-Napoléon Bonaparte le premier chef d'État élu au suffrage universel masculin.
Par une loi prise dans l'urgence le 12 décembre 1848, l'Assemblée nationale désigne le palais de l'Élysée comme résidence officielle du chef de l'État. Il est vrai que les dimensions semblent plus mesurées pour un président élu démocratiquement ! Néanmoins, il aurait pu ne pas être la résidence du président, puisque le Général Cavaignac, chef du gouvernement provisoire et candidat à l'élection présidentielle, souhaitait garder son hôtel de Monaco (actuel Matignon) comme résidence officiel. Il aurait aussi pu devenir une bibliothèque ! En effet, le président de l'Assemblée nationale propose d'ouvrir une bibliothèque dans le palais, contenant les ouvrages entreposés au musée du Louvres. C'est ainsi que le palais de l'Élysée prend le nom d'Élysée-National.
Pour l'anecdotes, le Général Changarnier, à la tête de la Garde nationale ce jour, aurait glissé au député Molé : « Et si au lieu de le conduire à l'Élysée je le menais aux Tuileries ? » - Gardez-vous-en bien, répondit Molé, il s'y rendra assez tôt tout seul ! »
Vous le savez peut-être mais le président de la République connait bien le palais de l'Élysée, puisque le neveu de Napoléon 1er y a vécu pendant son enfance. Et c'est naturellement qu'il choisit le salon Cléopâtre pour en faire son bureau de travail. Toutefois, le palais est en très mauvaise état, mais cela n'empêche nullement le président d'en faire un palais au style londonien. Louis-Napoléon Bonaparte a longtemps vécu exilé en Angleterre et connait parfaitement bien cette apothéose de luxe et de grand ! D'ailleurs, le président exige qu'on l'appelle « Monseigneur » ou « Votre Altesse ». Une vie rêvée de monarque et non de président. Digne d'un roi, il organise des fêtes somptueuses le lundi, où de grands noms défilent, comme Lamartine, Alfred de Musset, Eugène Delacroix et même Victor Hugo, qui ne mache pas ses mots à l'égard du président : « cet homme va nous perdre, il fait danser la république en attendant de la faire sauter ».
Ce sera chose faite le 1er décembre 1852. Lors d'une réunion secrète dans le salon d'argent, celui-là même où Napoléon Ier avait abdiqué, le président Bonaparte qui venait de donner une réception en l'honneur du préfet George Eugène Hausmann, fait préparer par son fidèle ami, Monsieur Mocquard, des dossiers estampiller du sceau « Rubicon ». Louis-Napoléon Bonaparte devient Napoléon III.
En 1853, Napoléon III quitte le palais de l'Élysée pour aller s'installer aux Tuileries. Amoureux du palais de l'Élysée, il décide de le faire rénover par l'architecte Joseph-Eugène Lacroix. D'ailleurs, une grande partie extérieure du palais actuel remonte à cette époque, soit des travaux achevés en 1867. Mais le mélange des styles n'est guère apprécié de tous ! Une fois les travaux terminés, le couple impérial ne daigne pas résider au palais. Mais un personnage illustre viendra y séjourner en 1855, il s'agit de Victoria, la Reine du Royaume-Uni, mais aussi de l'empereur de Russie Alexandre II pour l'exposition universelle de 1867, l'empereur d'Autriche François-Joseph 1er, le roi des Pays-Bas Guillaume III, celui de Suède Charles XV, et le sultan ottoman Abdülaziz.
L'Élysée retrouve son nom « d'Élysée-National » à la chute du second Empire et est remis à l'État. Il échappera de peu aux communards, qui grâce à Louis Basset de Balavalle, ancien fourrier des logis de l'Empereur, apposera, au péril de sa vie, un sceau du gouvernement fédéré pour empêcher le pillage et l'incendie du palais.
De nos jours, Brigitte Macron, femme de l'actuel président, redonne au palais une nouvelle jeunesse. Elle se charge personnellement de sa redécoration. Les travaux du palais sont en partie réalisés grâce aux dons, à l'argent des visites et à l'achat des divers produits de la boutique du palais.
Je crois que l'Élysée n'a pas fini de nous dévoiler ses secrets !
Par Enzo Guyot