Marie la Déchue : le destin tragique d’une reine absolue

17/11/2024

Marie Ire d'Angleterre, première femme à accéder au trône anglais de plein droit, naît le 18 février 1516 au palais de Placentia, dans le quartier londonien de Greenwich. Fille de Henri VIII et de Catherine d'Aragon, elle grandit au sein de la prestigieuse dynastie des Tudor, bâtisseuse d'une Angleterre transformée par les réformes religieuses et le renforcement de l'autorité monarchique.  

Son destin bascule lorsque son père rompt avec l'Église de Rome pour épouser Anne Boleyn, provoquant alors l'annulation de son mariage avec Catherine d'Aragon. Ce divorce fait de Marie une enfant illégitime aux yeux du royaume. Écartée de la succession au profit des enfants du nouveau couple royal et réduite au rang de paria dans une cour où elle était autrefois princesse, Marie endure rejet et l'exclusion. Ces épreuves forgent pourtant en elle une détermination implacable : revendiquer son héritage et imposer, au cours de son règne, un retour triomphant de la foi catholique.

De l'héritière dépossédée à la reine triomphante

Pendant des années, reléguée dans l'ombre, elle puise sa force dans les enseignements catholiques de sa mère, Catherine d'Aragon. Sa foi devient pour elle un votum (vœu sacré), le fondement de sa résilience et de sa détermination à reprendre sa place.

Cette conviction se révèle décisive après la mort de son demi-frère et fervent protestant, Édouard VI, qui tente de la déshériter au profit de sa cousine Jeanne Grey. Influencé par John Dudley, duc de Northumberland, Édouard cherche ainsi à consolider les réformes protestantes. Marie, convoquée à Londres pour être capturée, s'échappe néanmoins en Est-Anglie et rassemble une armée de fidèles.

Depuis Kenninghall, le 9 juillet 1553, elle adresse une littera au Conseil privé, dénonçant l'usurpation de Jeanne Grey comme un acte de proditio (trahison). Sa légitimité, inscrite dans le Troisième Acte de Succession signé par Henri VIII, galvanise la population. Des centaines de partisans convergent vers le château de Framlingham où Marie se prépare à revendiquer le trône.

Le 19 juillet 1553, Jeanne est renversée en moins de deux semaines. Marie, triomphante, entre dans Londres le 3 août, entourée d'une imposante procession et de sa demi-sœur Élisabeth. De l'héritière dépossédée à la souveraine légitime, Marie s'impose comme une figure déterminée et résolue à restaurer la foi catholique en Angleterre.

Un couronnement majestueux et une alliance avec l'Espagne

Le 1er octobre 1553, Marie est couronnée reine d'Angleterre à l'abbaye de Westminster, devenant ainsi la première souveraine à régner seule, en son propre droit. Désormais prima regina, elle exerce pleinement le jus regni, en d'autres termes la pleine autorité royale. Consciente des tensions religieuses tiraillant son royaume, elle renforce son pouvoir en scellant une alliance avec l'Espagne, alors bastion du catholicisme en Europe, en épousant Philippe II, fils de l'empereur Charles Quint.

Le 25 juillet 1554, en la cathédrale de Winchester, Marie et Philippe unissent leur destin dans un mariage arrangé par Simon Renard, ambassadeur espagnol et habile stratège. Philippe devient rex consort (roi consort) d'Angleterre, Marie, quant à elle, veille scrupuleusement à préserver son autorité sur le royaume. Ce mariage, bien que fondé sur des considérations diplomatiques, incarne surtout pour elle l'espoir de voir naître un héritier catholique qui garantirait la pérennité de la foi romaine sur le trône d'Angleterre.

Cependant, cette union est loin de faire l'unanimité. Impopulaire dans un royaume encore marqué par les réformes protestantes, elle alimente des rébellions, notamment celle de Thomas Wyatt. De plus, l'absence d'héritier vient rapidement éroder les espoirs de Marie à propos de la fondation d'une dynastie catholique. En 1555, un grossesse fantôme, qui aurait dû être celle de son héritier, brise ses rêves de succession catholique et ébranle définitivement ses ambitions dynastiques.

Restauration et répression

Déterminée à restaurer le catholicisme en Angleterre, Marie s'entoure de loyaux conseillers, tels que Stephen Gardiner, évêque de Winchester et Lord Chancelier, et Reginald Pole, cardinal et archevêque de Cantorbéry, récemment revenu d'exil. Ensemble, ils révoquent les lois protestantes instaurées par son prédécesseur, Édouard VI, et rétablissent l'autorité papale sur le royaume. Ce retour en grâce de la foi catholique marque un tournant dans l'histoire religieuse du pays, or cette restauration s'accompagne d'une répression sévère.

Entre 1555 et 1558, 287 protestants sont exécutés, qualifiés d'« hérétiques » par le régime catholique, brûlés vifs sur les bûchers. Même si ces persécutions reflètent les pratiques religieuses de l'époque, ce volet répressif forge particulièrement l'image de Marie dans l'histoire. Le surnom de "Bloody Mary", attribué par ses opposants protestants, reste gravé dans la mémoire collective. Pourtant, les exécutions sous son règne, bien que cruelles, sont comparables, voire moins sévères, que celles menées par son père Henri VIII ou sa demi-sœur Élisabeth Ire, dont la violence fut souvent bien plus meurtrière. Ironiquement, Marie demeure pourtant l'une des souveraines les moins violentes de la dynastie Tudor.

Réformes sociales, économiques et modernisation de la flotte royale

Contrairement à l'image souvent réduite à sa répression religieuse, Marie œuvre en parallèle à la stabilisation économique du royaume et à la modernisation de ses forces armées. Sous l'influence de William Paget, son secrétaire d'État, elle mène une réforme monétaire dans le but de restaurer la confiance des marchands et à stabiliser le marché, redonnant ainsi un souffle nécessaire à l'économie anglaise.

Consciente des enjeux stratégiques de la défense maritime, Marie entreprend également la modernisation de la flotte royale. S'inspirant des initiatives de son père, Henri VIII, elle veille à la construction de nouveaux navires, préparant ainsi une force navale capable de défendre le royaume. Cette modernisation sera essentielle sous le règne de sa demi-sœur, Élisabeth Ire, notamment lors de la célèbre défaite de l'"invincible Armada" espagnole. Les fondations posées par Marie permettront à l'Angleterre de renforcer, plus tard, sa puissance navale et d'affirmer sa domination sur les mers.

Fin et réconciliation posthume

En 1557, Marie connaît une nouvelle grossesse fantôme, un événement tragique qui affaiblit gravement sa santé. Délaissée par un mari absorbé par ses responsabilités impériales, elle meurt le 17 novembre 1558, à l'âge de 42 ans. Sans descendance pour perpétuer son rêve d'un royaume catholique, la couronne revient finalement à sa demi-sœur, Élisabeth, qui, à l'opposé de Marie, abolit ses réformes religieuses et renforce le protestantisme en Angleterre.

Marie est inhumée dans l'abbaye de Westminster, aux côtés d'Élisabeth Ire. Leur tombe porte l'inscription latine suivante, ajoutée par Jacques Ier, roi d'Angleterre et d'Écosse, en 1603 :

"Regno consortes et urna, hic obdormimus Elizabetha et Maria sorores, in spe resurrectionis". 

"Consorts du royaume et dans la tombe, ici nous dormons, Élisabeth et Marie , dans l'espoir de la résurrection."

Cette épitaphe souligne une réconciliation posthume entre les deux reines aux parcours opposés, mais dont les destins ont été liés par leur commun héritage. Elle symbolise également la réconciliation des divisions religieuses qui ont déchiré les Tudor, tout en rendant hommage à l'unité retrouvée de la dynastie.

Ainsi, Marie Tudor, de "fille déchue" à "reine absolue", demeure une figure complexe et ambivalente de l'histoire anglaise. Souveraine dévouée à sa foi et héritière d'un destin tragique, elle laisse derrière elle un règne marqué par le sacrifice, une loyauté indéfectible envers ses valeurs, sa foi, et un héritage qui, bien qu'éphémère, a marqué l'Angleterre.

Charbel JOURDAIN et Enzo GUYOT.

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