Isabelle de Ludres, la favorite trop ambitieuse du Roi-Soleil

02/11/2023

Au cours de son règne prolongé, Louis XIV a entretenu de multiples liaisons adultères, certaines de ses favorites marquant durablement les esprits. Parmi les nombreuses maîtresses du Roi-Soleil qui ont arpenté les couloirs du château de Versailles, une figure demeure relativement méconnue : Isabelle de Ludres.

C'est une oubliée de l'Histoire de France. Pourtant, son fantôme hante toujours le château de Versailles. Marie-Élisabeth, dite « Isabelle », de Ludres est née dans le village du même nom, situé à sept kilomètres de Nancy, en 1647. Fille de Jean de Ludres et de Claude des Salles, c'est une descendante des premiers ducs de Bourgogne. En dépit d'un blason terni par le temps, cette généalogie éloquente lui permet d'être admise, très jeune, parmi les chanoinesses du chapitre des dames nobles de Poussay, dans les Vosges, afin d'y recevoir une éducation digne de son rang. Mais cette prestigieuse filiation n'est pas son seul atout. Au fur et à mesure qu'elle grandit, la jeune aristocrate se dote d'un physique aux formes très avantageuses. Ce qui lui vaudra d'être généralement portraiturée en Sainte Marie-Madeleine pénitente, afin de mettre en valeur sa plastique qui attire toutes les attentions et lui permettre de se faire courtiser par les plus grands.

Fiancée au duc de Lorraine

En 1662, alors qu'elle n'a que quinze ans, elle est remarquée par le duc Charles IV de Lorraine qui succombe à sa grande beauté. Bien qu'âgé de quarante-trois ans, le souverain lorrain décide de faire fi de cette différence et de demander la main de la jeune fille. Compagnon de jeu de Louis XIII, il a pris possession de la Lorraine en épousant sa cousine Nicole, fille du duc Henri II, sans descendance masculine. Né de Vaudémont, c'est un ambitieux qui ne saurait se contenter d'une seule place de duc consort. Progressivement, il va s'accaparer la totalité des pouvoirs au mépris des droits de son épouse, soutenant discrètement les complots contre le cardinal de Richelieu et profitant de la situation pour négocier le mariage de sa sœur Marguerite, avec Gaston d'Orléans, frère du roi de France. Ses actions politiques sont aussi tumultueuses que sa vie maritale. Le quinquagénaire a été excommunié pour adultère et bigamie, depuis qu'il a épousé sa maîtresse Béatrix de Cusance, princesse de Cantecroix, en 1637. Malgré ses demandes répétées, le pape a refusé d'annuler son union avec Nicole de Lorraine. Pis, pour obtenir gain de cause, en vain, le duc réussit à faire condamner à mort pour sorcellerie, Melchior de la Vallée, le prêtre qui avait baptisé cette dernière, afin d'invalider le mariage.

Pour pouvoir se marier avec Isabelle, il n'hésite pas à répudier Béatrix, alors que celle-ci est pourtant la mère de deux de ses enfants. Mais une fois les fiançailles prononcées avec sa nouvelle dulcinée, le duc reprend sa quête amoureuse et s'éprend d'une autre beauté, Marie-Louise d'Apremont, âgée de treize ans seulement. Délaissée à son tour et blessée dans son orgueil, celle que l'on surnomme la « Belle de Ludres » décide, avec l'appui du clergé lorrain, de former une opposition pour obliger Charles à tenir ses engagements. Celui-ci, furieux, menace de la faire poursuivre pour crime de « faussaire et criminelle lèse-majesté ». C'est donc la mort dans l'âme et sur les conseils de sa mère, que la jeune fille se résigne à quitter sa Lorraine natale pour la cour de France qui a suivi cette affaire digne des meilleurs magazines people de nos jours.

La rivale de Madame de Montespan

À son arrivée à Versailles, en 1664, Isabelle de Ludres est présentée à Louis XIV, neuf ans son cadet, le jour de l'inauguration des fêtes des « Plaisirs de l'Île enchantée », et devient, successivement, dame d'honneur d'Henriette d'Angleterre, première femme de Monsieur, de la reine Marie-Thérèse d'Autriche, et de la Princesse Palatine, deuxième épouse de Monsieur, tout en gardant son titre de chanoinesse.

Charmé à son tour par sa beauté, mais aussi par sa blésité et son accent lorrain, envoûté par la volupté de ses notes, le Roi-Soleil ne tarde pas à s'intéresser à l'ex-fiancée de Charles IV. Après un long siège de la part du monarque, elle finit par céder à ses avances. Dès la Pâques 1675, elle entame une liaison avec lui, au grand dam de Madame de Montespan.

Bien que la relation entre Louis et Isabelle reste discrète, la favorite en titre ne tarde pas à l'apprendre. Sa colère est à la hauteur de sa jalousie et elle n'hésite pas à colporter toutes sortes de rumeurs, afin de compromettre sa rivale. Voilà la « Belle de Ludres » suspectée d'avoir le corps recouvert de dartres, accusée d'avoir contracté la gale, la lèpre, et toutes autres maladies que l'esprit fertile de Madame de Montespan arrive à répandre parmi la fine fleur de l'aristocratie française. En vain, puisque le roi de France a tout le loisir de vérifier par lui-même, et plus d'une fois, qu'Isabelle de Ludres est parfaitement saine. Craignant d'être supplantée, Athénaïs de Montespan perd patience et ose l'impensable : traiter Isabelle de Ludres d'« haillon » devant le roi, tout en imitant son accent, et en singeant ses expressions ingénues. Que d'énergie dépensée inutilement dans ce qui reste une guerre de jupons, et dans laquelle Isabelle de Ludres va elle-même se perdre.

Une maîtresse trop sûre d'elle

Grisée par sa liaison avec Louis XIV, Isabelle de Ludres se sent invincible et ne sent pas les dangers qui se profilent à Versailles. Elle donne donc vite libre cours à ses ambitions et s'empresse de s'approprier le titre de favorite, allant même jusqu'à raconter à qui veut l'entendre qu'elle est enceinte des œuvres du roi et qu'elle a détrôné Madame de Montespan dans le cœur du Bourbon. En osant écrire en personne au Roi-Soleil, alors que celui-ci est en campagne contre les Espagnols, elle commet alors une erreur fatale qui va précipiter sa chute. Louis XIV s'en irrite, s'éloigne d'elle mais ne se résout pas à la chasser de la cour. Les confrontations reprennent dans les couloirs de Versailles, et ce, jusque dans la chapelle royale. Humiliée au cours d'une messe, se sentant au bord de la répudiation, Isabelle de Ludres décide de se retirer au Couvent de la Visitation de Sainte-Marie, le cœur brisé.

À l'instar de ses autres maîtresses déchues, Louis XIV a bien proposé de lui allouer une rente, mais Isabelle de Ludres, blessée dans son amour-propre, a refusé de prendre le moindre denier du monarque. Son départ se fait dans l'indifférence. Madame de Scudéry, résumera la situation ainsi : « Si elle n'avait pas tant fait la sultane pendant qu'elle espérait le devenir, on aurait eu pitié d'elle... » écrit cette précieuse, femme de Lettres.

La fin de vie de la « Belle de Ludres » sera instable. Elle va de couvent en couvent, s'endette, ce qui l'oblige à revenir sur sa décision et obtient de son ancien amant, une pension. Rentrée dans le duché de Lorraine, qui a retrouvé tout juste son indépendance après un quart de siècle d'occupation française, lors du Traité de Ryswick, elle s'installe dans une demeure luxueuse et de style classique, à Vaucouleurs. Le poids de l'âge se fait sentir désormais sur Isabelle de Ludres, Charles IV étant décédé en 1675, sans que sa disparition n'émeuve son ancienne fiancée, tandis que Louis XIV le suit dans la tombe, en 1715, la laissant avec les souvenirs de sa gloire passée. Elle s'éteint à son tour à Nancy, le 28 janvier 1726, six ans après avoir été titrée marquise.

Parmi les nombreux domestiques qui avaient accompagné Isabelle dans son exil, on y trouve le couple Bécu-Cantigny. Fabien est son cuisinier, tandis qu'Anne, sa dame de compagnie. Ils seront les grands-parents d'une adorable petite Jeanne, née en 1743. Cet enfant, qui gambadera dans la propriété de la maîtresse de Louis XIV, marquera à son tour l'Histoire de France. Connue sous le nom de comtesse du Barry, elle sera la dernière favorite du roi Louis XV. Un destin hors-norme qui la conduira, un jour d'hiver 1793, sous la lame de la guillotine.

Par Lucas-Joël Houllé